Comment réagissent vos patients face à cette crise sanitaire ?
[Christine] Ce qui m’a fort marqué au départ, c’est que les gens que je rencontrais banalisaient énormément la situation et minimisaient les risques. On me disait que c’était une simple grippe, que c’était loin en Chine. Il a fallu qu’on ferme les écoles, voire qu’on instaure un confinement pour que je voie une réelle prise de conscience de la gravité de cette crise sanitaire. Maintenant encore, certains se sentent invisibles… d’autres, à l’inverse, sont dans l’exagération dramatique comme on peut le voir sur les réseaux sociaux ou dans les commerces. On est loin d’assister à des attitudes rationnelles. D’ailleurs, je voudrais réinsister sur l’importance que tout un chacun — y compris dans le monde professionnel — fasse preuve de bon sens et reste un maximum chez lui ! Je ne veux pas que mes collègues dans les hôpitaux aient besoin de choisir qui doit être ou non sous respirateur dans quinze jours. C’est ça l’enjeu du confinement.
Quelles sont vos difficultés dans l’exercice de votre profession ?
[Christine] Je suis très en colère : nous n’avons pas été reconnus comme prioritaires pour l’accès au matériel. Et quel matériel ? Nous demandons principalement du gel désinfectant, des masques, des gants, soit la base, le strict minimum ! Car nous sommes en toute première ligne — avant les médecins ou les hôpitaux —, en contact direct avec des malades ou des porteurs qui ne le savent même pas. Puis, dans l’exercice de notre profession, nous ne pouvons pas mettre des distances : nous sommes même au corps-à-corps dans certaines manipulations. Pas de télétravail possible ! Enfin, je passe de patient en patient : je suis donc un vecteur direct de propagation. En fait, pour donner une comparaison, j’ai l’impression que nous sommes en guerre, mais que nous partons au combat sans armes, sans protection, sans gilet pare-balles. À l’heure actuelle, je ne suis pas capable d’appliquer les règles comme je devrais pouvoir le faire. Et encore, comme je suis spécialisée dans les soins palliatifs, j’ai un stock un peu plus conséquent que celui de mes collègues. Mais je vous avoue que j’arrive à court…
Vous en voulez aux responsables politiques ?
[Christine] Je pense qu’à la fin de cette crise, il faudra pointer du doigt le ministre qui a décidé de faire des économies budgétaires. Une telle pénurie, c’est très grave : ce manque de matériel ne peut plus jamais se reproduire, nous devons mieux anticiper ! Quant à l’arrivée de nouveaux masques en Belgique, ils vont être distribués prioritairement aux hôpitaux, aux cellules spécialisées dans le traitement du coronavirus, aux médecins généralistes… C’est tout à fait normal, mais qu’en est-il de nous, les infirmiers à domicile ? Comment, quand va-t-on nous ravitailler ? En réalité, nous n’avons aucune information, aucune directive, rien si ce n’est un mail de l’Inami pour nous dire que nous ne sommes plus obligés de lire les cartes d’identité lors de nos passages chez les patients. Cette mesure me fait rire aussi ! Comme si, nous n’avions pas d’autres sources de contact avec nos patients que la carte d’identité... Je ne demande en fait qu’une seule chose : être convenablement équipée !
Comment vivez-vous cette situation de crise ?
[Christine] Je suis gênée quand j’entends les gens applaudir chaque soir, parce que je n’ai pas l’impression d’être une héroïne. Je fais juste mon travail. En tout cas, je n’ai jamais pensé une seule seconde à arrêter mon activité. Depuis 23 ans, je m’occupe des personnes en fin de vie. Ces personnes n’ont actuellement plus de contacts avec le monde extérieur, ne peuvent plus recevoir de la visite à cause du confinement, meurent seules ou presque. Je ne peux pas abandonner ces personnes, ce n’est pas du tout concevable ! Mais c’est vrai — la situation est très difficile : le manque de matériel est une grosse source de stress. Depuis la crise, je me retrouve également à pallier tout ce qui n’est plus fait par d’autres secteurs : je deviens facteur, cuisinière, coiffeuse ou kiné pour mes patients. Puis, j’ai la peur de tomber moi-même malade : qui va s’occuper de mes patients dans ce cas-là ? Enfin, j’ai dû m’isoler et mettre des distances avec mes proches : je fais en sorte par exemple de ne plus vivre dans les mêmes pièces que mes enfants au même moment. C’est une grande crainte pour le personnel médical aujourd’hui : mettre en danger ses proches, ramener le virus chez soi.