Qu’est-ce qui a changé concrètement ces derniers jours ?
(Céline) Le changement a été très brutal vendredi. Dans l’urgence et avec très peu de consignes, j’ai dû constituer des dossiers de révision pour tous les niveaux, car je donne mes cours de la première secondaire à la rhéto. Ces dossiers, soit je les ai donnés directement le vendredi, soit je les ai envoyés aux adresses mail spécifiquement créées pour chaque élève. Je leur ai également demandé de me rendre à intervalle plus ou moins régulier des exercices et je leur prépare des petits tests en ligne pour les driller. Par ailleurs, les élèves peuvent me contacter via une plateforme en ligne commune à l’école. Enfin, au départ, je devais être également réquisitionnée pour des gardes à l’école, mais concrètement nous n’avons pas d’élèves. Je reste donc à domicile et passe la majorité de ma journée devant mon écran d’ordinateur à répondre aux questions de mes 149 élèves. C’est un gros changement dans ma manière de travailler.
Quelles sont les principales difficultés pour vous ?
(Céline) D’abord, je ne suis pas formée à toute une série d’outils informatiques qui me permettent de communiquer avec mes élèves : j’ai donc dû apprendre sur le tas. Un autre aspect est la modification de la sociabilité entre le professeur et l’élève : ils ne respectent plus des horaires stricts et réguliers, ils me contactent à toute heure de la journée ou de la soirée, les frontières avec la vie privée sont réduites… Le temps scolaire se confond avec les autres temps de la vie des jeunes.
Des difficultés aussi pour vos élèves…
(Céline) Aujourd’hui, depuis 10 h du matin, je reçois une dizaine de messages par heure : certains élèves sont complètement perdus, d’autres posent des questions de compréhension ou techniques, d’autres encore m’envoient leurs exercices finis et en demandent de nouveaux. Ce système est en fait très problématique pour les élèves en difficulté : il n’est pas toujours simple d’être clair par mails interposés et de proposer un bon accompagnement. Bref, je suis confrontée à des grandes disparités entre mes élèves, d’autant plus qu’ils n’ont pas tous les mêmes outils — par exemple un seul ordinateur pour plusieurs enfants —, le même espace de travail harmonieux ou les mêmes organisations familiales favorables. Comme le suivi est très inégal en fonction de l’autonomie et de l’investissement de chaque élève, le confinement risque d’accentuer encore plus certaines inégalités scolaires…
Comment vous sentez-vous dans cette situation ?
(Céline) Tout est encore très brouillon pour le moment. Je me sens donc un peu livrée à moi-même : je dois m’adapter au rythme de chaque élève — et non plus d’une classe, mais aussi je ne sais pas du tout la quantité du travail et le mode de fonctionnement qu’ont pris mes collègues. Puis, les directives ministérielles sont très floues : on manque de pistes, de ressources documentaires, d’exemples concrets… En fait, j’ai le sentiment de perdre un peu le contrôle de la situation et de mes élèves. Quid également dans le cas d’un prolongement éventuel du confinement ? Je crains d’arriver au bout de mes ressources à un moment donné…
Propos recueillis par Maxime Maillet