Qu’est-ce qui a changé concrètement ces derniers jours ?
(Anaïs) La première mesure phare est que nous avons dû restreindre le nombre d’articles que les clients peuvent acheter… Cette liste ne fait qu’augmenter au fil des jours : d’abord les conserves, puis les pâtes, le papier toilette, les poires et les pommes, aujourd’hui les œufs. Nous allons devoir bientôt intervenir sur le lait, car les clients en achètent par pack de douze ou de vingt-quatre, ça n’a pas de sens ! Normalement, nous n’avons aucun problème de stock, mais comme des abus ont été commis, nous recevons un peu moins de colis qu’à la normale… Toutefois si les clients se calment et achètent normalement, nos stocks devraient être remplis d’ici quelques jours.
Quelles ont été les autres mesures prises dans votre magasin?
(Anaïs) Je me découvre de nouvelles compétences ! Avant j’étais principalement caissière et je m’occupais de temps en temps du remplissage des rayons… maintenant, je dois m’occuper de gérer les entrées et les sorties pour que les distances soient respectées et que les clients ne soient pas trop nombreux dans le magasin. Ils doivent donc faire la file dans la rue en laissant bien un mètre de distance entre eux, ce qui crée des frustrations. Par ailleurs, plusieurs mesures hygiéniques ont été prises : nous portons des gants, nous pouvons avoir des masques, nous avons installé une vitre en plexiglas à la caisse, nous désinfectons systématiquement les paniers à course après chaque utilisation, nous autorisons au maximum deux clients aux caisses, nous n’acceptons plus d’argent liquide… Un dernier changement : le magasin est désormais ouvert 7 jours sur 7, et non plus 6 sur 7 comme avant la crise. Plus de travail pour nous donc.
Quelles sont les principales difficultés pour vous ?
(Anaïs) La principale difficulté est le comportement de +/ — un tiers de nos clients. Ils râlent, se plaignent sans cesse de la situation et se permettent des réflexions très désagréables. Par exemple, dernièrement, un client m’a dit devant la vitre de plexiglas " ah vous êtes devant une vitrine maintenant, vous prenez combien ? ". De même, un client a demandé à ma responsable d’arrêter de respirer sur les légumes qu’elle était en train de ranger sur les étagères ! Toutefois, j’ai encore de la chance, car je travaille dans un Proxy de quartier : d’autres clients — des habitués — sont très reconnaissants, nous apportent à manger ou nous font des blagues…. Nous veillons également à communiquer tout particulièrement avec les personnes âgées et isolées pour qui faire des courses est désormais la seule activité de sociabilisation. En revanche, une connaissance travaille dans un immense supermarché : elle m’a confié qu’elle allait au travail avec la boule au ventre tant les gens étaient exécrables.
Comment vous sentez-vous dans cette situation de crise ?
(Anaïs) Avec ses rayons vides et ses mesures de protection, j’ai un peu l’impression d’être dans un film catastrophe sur la fin du monde (Rires). Personnellement, même si je suis une personne à risque avec mes problèmes de santé, je reste confiante et sereine : je sais que je fais les bons gestes pour me protéger et je suis suivie régulièrement par mon médecin traitant. En revanche, je suis vraiment blasée avec l’attitude désagréable de certains clients : la bêtise humaine m’exaspère… Je demande juste plus de respect !